Une salle du château du comte de Nevers. – Au fond, de grandes croisées ouvertes laissent voir des jardins et une pelouse sur laquelle plusieurs seigneurs jouent au ballon; à droite, une porte qui donne dans les appartements intérieurs; à gauche, une croisée fermée par un rideau, et qui est censée donner sur un oratoire; sur le devant du théâtre, d'autres seigneurs jouent aux dés, au bilboquet, etc. Le comte de Nevers, Tavannes, Cossé, de Retz, Thoré, Méru et d'autres seigneurs catholiques les regardent et parlent entre eux.
Scène première.
De Nevers, Tavannes, Cossé, de Retz, Thoré, Méru, Gentilshommes.
Introduction.
LE CHŒUR.
Des jours de la jeunesse
Et du temps qui nous presse,
Dans une douce ivresse,
Hàtons-nous de jouir!
Aux jeux, à la folie
Consacrons notre vie,
Et qu'ici tout s'oublie,
Excepté le plaisir!
TAVANNES, s'adressant au comte de Nevers.
En ces lieux enchanteurs, châtelain respectable,
Mon cher Nevers, pourquoi ne pas nous mettre à table?
DE NEVERS.
Nous attendons encore un convive.
TOUS.
Et lequel?
DE NEVERS.
Un jeune gentilhomme, un nouveau camarade,
Qui dans nos lansquenets vient d'obtenir un grade
Par le crédit de l'amiral.
TOUS.
O ciel!
C'est donc un huguenot?
DE NEVERS.
Eh! oui; mais je vous prie
De le traiter en frère, en ami; notre roi
Nous en donne l'exemple et nous en fait la loi.
Avec les protestants il se réconcilie;
Coligny, Médicis ont juré devant Dieu
Une éternelle paix ...
COSSÉ.
Qui durera bien peu.
DE NEVERS.
Que nous importe, à nous!
LE CHŒUR.
Des jours de la jeunesse
Et du temps qui nous presse,
Dans une douce ivresse,
Hâtons-nous de jouir!
Aux jeux, à la folie
Consacrons notre vie,
Et qu'ici tout s'oublie,
Excepté le plaisir!
Scène II.
Les mêmes; Raoul, paraissant à une des allées du fond.
TAVANNES.
Eh! mais, de ce côté regardez, mes amis.
DE NEVERS.
C'est celui que j'attends, c'est Raoul de Nangis.
COSSÉ.
Quelle sombre pensée ...
DE RETZ.
Ou quel ennui l'accable?
TAVANNES.
Des dogmes de Calvin effet inévitable!
COSSÉ.
Je veux m'en amuser.
DE NEVERS.
Et moi le convertir
Au culte des vrais dieux: l'amour et le plaisir.
RAOUL, s'avançant près du comte de Nevers, qu'il salue.
Sous le beau ciel de la Touraine,
Parmi ce que la cour offre de plus brillant,
Pour moi, simple soldat, que l'on connaît à peine,
Quel honneur d'être admis!
COSSÉ, bas aux autres.
Il n'est pas mal, vraiment!
TAVANNES.
Oui, l'air gauche et gêné d'un noble de province!
THORÉ.
Mais nous le formerons; c'est à la cour du prince
Un service à lui rendre.
Pendant ces différents aparté on a apporté une table magnifiquement servie.
DE NEVERS.
A table, mes amis!
TAVANNES, bas, aux autres.
Je veux, pour commencer, l'enivrer.
TOUS, de même.
Ah! j'en suis!
Chœur de l'Orgie.
LE CHŒUR.
A table, amis, à table!
Bonheur de la table,
Bonheur véritable,
Plaisir seul durable,
Qui ne trompe pas!
Buveur intrépide,
Que Bacchus me guide,
Que lui seul préside
A ce gai repas!
De la Touraine
Versez les vins:
Le vin amène
Joyeux refrains;
Et dans l'ivresse
Noyons soudain
Et la sagesse
Et le chagrin!
DE NEVERS, gaiement.
Versez de nouveaux vins! versez avec largesses.
Allons, Raoul, buvons à nos maîtresses!
Rien qu'à votre air et tendre et langoureux,
Je gage que déjà vous êtes amoureux.
RAOUL, troublé.
Qui? moi?
DE NEVERS.
C'est permis à notre âge!
Mais sous ses chastes lois demain l'hymen m'engage:
Je l'ai promis, je renonce à l'amour;
Et depuis ce moment je ne saurais suffire
Aux nombreux désespoirs des dames de la cour.
COSSÉ.
C'est amusant! Tu devrais nous les dire.
DE NEVERS.
Soit; mais, ainsi que moi, chacun de vous ici
Nous fera le récit de ses amours!
COSSÉ.
Eh oui!
TAVANNES.
Qui donc commencera?
DE NEVERS, montrant Raoul.
Notre nouvel ami!
TOUS.
C'est juste! ... c'est à lui!
RAOUL.
Je le puis volontiers sans compromettre celle
Dont mon cœur est épris.
DE NEVERS.
Et d'abord quelle est-elle?
RAOUL.
Je n'en sais rien.
DE NEVERS, riant.
Son nom?
RAOUL.
Je l'ignore.
DE NEVERS.
Vraiment!
Or écoutons: voici qui doit être piquant.
RAOUL.
Non loin des vieilles tours et des remparts d'Amboise
Seul j'égarais mes pas, quand j'aperçois soudain
Une riche litière au détour du chemin;
D'étudiants nombreux la troupe discourtoise
L'entourait, et leurs cris, leur air audacieux
Me laissaient deviner leur projet: – je m'élance ...
Tout fuit à mon aspect. Timide – je m'avance,
Et quel spectacle alors vient s'offrir à mes yeux!
Romance.
Premier couplet.
Plus blanche que la blanche hermine,
Plus pure qu'un jour de printemps,
Un ange, une vierge divine,
De sa vue éblouit mes...